« Imaginez que l’on ajoute du sable sur un tas de sable sans aucune conséquence visible, jusqu’au moment où, soudainement, le tas s’affaisse. » Le cygne noir du Caire, Foreign Affairs, Nassim Nicholas Taleb et Mark Blyth, mai 2011
Six ans après la grande récession qui a fait suite à la crise financière mondiale de 2007-2008, nous nous apprêtons à assister aux premiers pas, timides, de la Réserve fédérale américaine (Fed) vers une normalisation de sa politique monétaire. La présidente de la Fed, Janet Yellen, a très clairement fait part de son intention d’autoriser une succession de hausses des taux d’intérêt, sous réserve, bien évidemment, que les données économiques continuent d’indiquer une amélioration de la situation. Après un début d’année 2015 difficile, nous nous attendons à ce que l’économie américaine se redresse au second semestre, la faiblesse des prix de l’énergie agissant avec un décalage sur la consommation des ménages. Nous prévoyons que la première hausse interviendra lors de la réunion de la Fed de septembre et que les taux seront relevés graduellement par la suite (par paliers progressifs, et non pas à chaque réunion de la Fed).
Lors des cycles précédents, le resserrement monétaire de la Fed a coïncidé avec une hausse de la volatilité sur les marchés obligataires et actions. Cette situation peut paraître surprenante, dans la mesure où les remontées des taux ont tendance à intervenir lorsque l’économie est robuste et le chômage faible. Néanmoins, ces facteurs se traduisent également par un taux élevé d’utilisation des capacités et une augmentation des chiffres de l’inflation, exerçant ainsi des pressions à la hausse sur les rendements obligataires. Les pressions sur les prix incitent à leur tour la banque centrale à durcir sa politique. Ce resserrement fait grimper les coûts d’emprunt, réduisant ainsi le revenu disponible des ménages et la rentabilité des entreprises, et pesant sur les marchés actions et des obligations d’entreprises.
À l’heure actuelle, l’inflation sous-jacente aux États-Unis (c’est-à-dire l’inflation hors composantes volatiles comme les prix des denrées alimentaires et de l’énergie) s’élève à 1,8%, juste en deçà de l’objectif de 2% de la Fed, et le taux d’utilisation des capacités à 78,2% est conforme à la moyenne observée ces deux dernières décennies. La Fed n’aurait pas besoin de donner un tour de vis si sa politique monétaire était globalement neutre. Mais ce n’est pas le cas : le taux Fed Funds (le taux au jour le jour auquel une banque commerciale prête des fonds déposés auprès de la Réserve fédérale à une autre) ressort actuellement à 0,13% et le bilan de la Fed, gonflé par plusieurs années d’assouplissement quantitatif, s’est envolé au-dessus de 25% du PIB américain, contre 6% avant la crise. Ce sera la première fois que la Fed tente une normalisation de sa politique monétaire à partir de niveaux aussi extrêmes.
Si nous appliquons par analogie la théorie de Taleb à la politique monétaire américaine, chaque remontée de taux représente une nouvelle poignée de sable ajoutée à un tas. Bien que chaque poignée ajoutée puisse n’avoir aucune conséquence visible, en particulier au début, elle ne fait qu’accroître la fragilité du tas. Alors que les marchés financiers s’adaptent au changement d’orientation de la politique monétaire américaine, nous estimons que la volatilité va commencer à augmenter.
D’autres banques centrales sont confrontées à des situations sensiblement différentes. La Banque centrale européenne (BCE) et la Banque du Japon (BoJ) sont contraintes de poursuivre leurs politiques monétaires pour le moins non conventionnelles, compte tenu de la morosité de leurs situations économiques respectives et de la faiblesse de leurs niveaux d’inflation. Les cycles conjoncturels et monétaires étant toujours désynchronisés, un nouvel ajustement pourrait passer par les marchés des changes, avec de nouveau un affaiblissement de l’euro et du yen face au dollar, ce qui aurait pour effet de renforcer la volatilité observée sur les marchés.
Comme nous l’avons affirmé dans les éditoriaux de nos dernières publications trimestrielles, cela n’exclut pas une nouvelle hausse des prix des actifs et des valorisations. En effet, l’appétit pour le risque reste élevé. Cela plaide toutefois en faveur d’une diversification prudente des portefeuilles entre nos thématiques et nos marchés favoris, afin que les investisseurs puissent maintenir leur équilibre alors que le sable commence à bouger sous leurs pieds.
Les variations de l’inflation, des taux d’intérêt et du taux de change peuvent avoir un effet défavorable sur la valeur, le prix et le revenu des investissements. Votre capital n’est pas protégé et les sommes investies à l’origine peuvent ne pas être récupérées.